Après un club de 300 places à Paris, vendredi soir, c’est dans un ancien cinéma de Lille, le Splendid, cette fois devant 700 spectateurs, que les Insus se sont produits.
Avec l’enthousiasme montré par le trio historique de Téléphone (Aubert, Bertignac, Kolinka), soutenu par le bassiste Alex… on ne voit pas comment de nouveaux concerts ne pourraient avoir lieu, revisitant l’exceptionnel répertoire du plus culte des groupes de rock français. Même si aucune autre date n’est encore annoncée. On peut parier que cela ne devrait guère tarder…
Quand, mardi soir à Lille, après plus de deux heures de concert, Jean-Louis Aubert et Louis Bertignac ont empoigné leurs guitares pour se lancer dans un blues, les regards se sont faits interrogateurs. Et puis, très vite, les spectateurs se sont rendu compte que, sur un rythme très ralenti, ce sont les paroles d' « Hygiaphone », le premier tube de Téléphone, que chantait Jean-Louis Aubert. Imaginez le frisson !
Le premier couplet et le refrain passés, le tempo s’est tout à coup accéléré pour se caler sur un rythme plus connu… C’était la cerise sur le gâteau de ce deuxième concert des Insus. « Hygiaphone », un titre que le groupe n’avait pas joué à Paris. Avantage : Lille…
D’autant que si, dans la capitale, les Insus étaient restés 1 h 30 sur scène, ils ont cette fois explosé les deux heures, avec un show très précisément de deux heures quinze. Et même s’ils n’ont pas interprété « Flipper », l’un des sommets de leur premier album, ils se sont bien plus lâchés que dans la capitale, multipliant les breaks, les solos de guitares, improvisant au feeling, prolongeant avec bonheur les morceaux…
« Ils déplient leurs ailes »
La comparaison, il faut surtout l’entendre de la bouche de Philippe Manœuvre, le critique rock, ami de longue date des membres du groupe, présent aux deux concerts : « Ils déplient leurs ailes,explique-t-il avec son sens de la formule. À Paris, c’était très serré, rock, presque punk, en formation club. Là, ils étaient plus dans le spectacle, dans le show. »
Entrés sur scène à 20 h 20, ils ont, une nouvelle fois attaqué avec « Crache ton venin », chanson juteuse d’électricité domptée. Jean-Louis Aubert, en tee-shirt et veste, est de noir vêtu. Sous sa veste sombre, Louis Bertignac a choisi le gris clair. Richard Kolinka est plus classe avec chemise blanche et gilet…
« Prends ce que tu veux », « Elle s’appelait Fait divers », « Argent trop cher », « La bombe humaine » reprise en chœur par un public aux anges. Le fameux répertoire de Téléphone défile. Voilà encore « Au cœur de la nuit »… Et Jean-Louis laisse le chant à Louis qui ne peut s’empêcher de glisser : « Je suis content. On s’est retrouvés. » Jean-Louis réplique : « On a attendu trente ans pour être totalement libres… » Louis reprend : « Qu’est-ce que tu veux dire par là ? »Faut-il comprendre que cette reformation, c’est ainsi qu’ils l’entendaient, sans leur bassiste historique Corine Marienneau ?
Mais peu importe. Bertignac vient d’entamer « Cendrillon » et la salle est comme dans un rêve. Les filles qui dansent, au premier rang, devant la scène, n’étaient certainement pas nées quand Téléphone a splitté. D’ailleurs, le public est assez bien partagé entre ceux de l’après-Téléphone et les quadras-quinquas qui ont connu le groupe des années 1970-1980.
Plaisanteries entre potes
En ce deuxième soir de retrouvailles, les deux potes se laissent aller à plaisanter. À la fin de « Le jour s’est levé », Jean-Louis rajoute un « Like a rolling stone ». Il s’amuse de la cigarette électronique de Louis, lui préférant les cigarettes traditionnelles et sort un : « La drogue était un milieu très bien avant que le sport ne s’en mêle… » La salle se bidonne. Tout cela est enchaîné avec un « J’sais pas quoi faire » très rock’n roll, suivi de « New York avec toi » et « Un autre monde ». Émotion palpable.
Plus tard, en rappel, avant de chanter : « Quelque chose en toi ne tourne pas rond… », Aubert interpelle à nouveau son guitariste : « Y’a pas mal de mecs pris dans les barbelés, non ? » « Les migrants ? », lui répond Bertignac. « Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux, réplique Aubert. Comment on pourrait aller mieux ? » Avant de quitter la salle, ils jouent encore une belle version revisitée de « Tu vas me manquer » et le fameux « Hygiaphone ». C’est dire qu’il ne manque pas grand-chose de leurs principaux succès…
« Tout le bonheur est pour nous ! »
Mais que retenir finalement de cet excellent show ? Que la salle a terminé en fusion, mais ce n’est pas une surprise. Surtout avec ce déluge d’électricité, d’énergie et de vieux tubes remontant à la surface. Que ces innombrables tubes n’ont pas vieilli et que, pour les fans d’antan, les paroles sont revenues comme par magie sur les lèvres même si les vinyles sont aujourd’hui entreposés dans des cartons depuis belle lurette…
Mais surtout, il faut retenir le bonheur qui irradiait les visages de Jean-Louis Aubert, de Louis Bertignac et de Richard Kolinka. Le trio avait bel et bien retrouvé ses années de jeunesse, mardi soir. Trente ans après… Jean-Louis Aubert n’a-t-il pas fini le concert par ces mots : « Tout le bonheur est pour nous. Le temps n’existe pas… » Pendant l’ensemble de ce concert, Jean-Louis et Louis se sont regardés avec une complicité retrouvée, s’enlaçant à la fin du show.
Il faut aussi retenir ce moment où Aubert s’est longuement mis à genoux devant son guitariste pour un double solo, Bertignac rejoignant, à genoux aussi, son compère. Certes, Jean-Louis Aubert a toujours montré de l’enthousiasme sur scène, mais là, il y avait clairement les bouffées d’émotion en plus. Louis semblait plus groggy par ces retrouvailles, comme s’il se pinçait encore, le visage traversé d’un large sourire, presque béat, qui ne l’a guère quitté.
Quant à Kolinka, derrière sa batterie, il a multiplié les facéties, jouant des baguettes entre ses doigts, les faisant régulièrement sauter, puisant dans un inépuisable stock, se levant à la fin de chaque morceau, mimant ses sensations, le visage allumé lui-aussi d’une large banane. À côté d’eux, Alex, le bassiste (Aleksander Angelov, déjà bassiste pour Aubert), s’était placé volontairement tout à côté de la batterie, comme dans l’ombre, pour laisser ses compagnons savourer.
En début de concert, Jean-Louis a lancé : « On a faim Lille ». Et Louis de répondre : « On avait oublié de vous dire au-revoir. » Avant le deuxième et dernier rappel, on est certain d’avoir entendu sortir des lèvres de Jean-Louis : « À bientôt, d’accord ? » Des dizaines de milliers de spectateurs n’attendent que ça… On peut maintenant croire que le retour de Téléphone, certes sans leur bassiste historique, sous leur nom d’origine ou pas, c’est pour maintenant…